« L’Europe, terre d’opportunité et d’équité » : (re)découvrez cette carte blanche du 9 décembre 2015 dans le journal L’Echo avec mes collègues de la Commission des Affaires Sociales Sybille de Coster-Bauchau, David Clarinval et Egbert Lachaert (VLD). 

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           Depuis la signature du Traité de Rome en 1957, l’Europe se veut une terre d’opportunité pour tous. D’élargissements en approfondissements, la CEE, la CE et puis l’UE ont toujours cherché à unifier et à harmoniser les pratiques et les écarts qui pouvaient subvenir entre les États membres ou même entre les entités régionales de ces États, et cela afin de permettre les échanges les plus libres, les plus efficaces et les plus équitables possibles dont le marché unique, consacré par le Traité de Maastricht en 1992, fut une forme d’aboutissement.

                L’ouverture des marchés participa grandement à la prospérité collective: en 2008, on estime que le PIB moyen des 27 pays de l’UE était 2,13% plus élevé que si le marché unique n’avait pas existé, ce qui représente 500 euros de plus par citoyen par an(1). Cependant, avec l’élargissement vers l’Europe de l’Est en 2004, un nouveau défi se posait: l’inégalité de revenu et la différence dans les politiques sociales rendaient inévitable une forme d’iniquité entre les acteurs économiques, qu’il convenait de corriger tout en ne lésant les intérêts et aspirations de personne. L’appartenance de ces pays à l’espace européen est une opportunité autant pour l’est que pour l’ouest du continent, mais qui ne va pas sans difficultés pour les uns et pour les autres.

                Cette iniquité entre les acteurs économiques, créée par les différences importantes de ressources et de législation, nous l’appelons le dumping. Et ce dumping est nocif… à la fois pour nos entreprises et pour leurs employés, mais aussi pour les travailleurs venus de l’Est qui, tout en exerçant leur profession ici, ne jouissent que d’une fraction des protections et des avantages dont bénéficient nos travailleurs.

                Comme le faisait déjà remarquer l’économiste britannique David Ricardo au début du XIXe siècle, les contrées ont tendance à se spécialiser dans les secteurs au sein desquels elles sont les plus compétitives et il est vain et inefficace de vouloir renverser par des mesures artificielles cet état de fait, plaidant ainsi vigoureusement contre le protectionnisme. Cet enseignement des premières écoles de l’économie classique, l’Union européenne tente, à juste titre, de l’appliquer tout en prenant en compte les réalités politiques et économiques du monde contemporain.

Equité, libre circulation et concurrence loyale

                Il ne peut donc être question de créer aujourd’hui des règles d’exception, justifiant une forme de protectionnisme au profit des uns ou des autres sous prétexte que nos points forts et faibles diffèrent au sein même de l’Union. Non seulement nous croulerions encore plus sous les textes réglementaires et légaux, mais en plus, nous finirions par perdre tout le bénéfice du libre- échange pour en revenir à une forme d’Europe pré contemporaine, celle-là même qui nous apporta, depuis la chute de l’Empire romain, 1.500 ans de guerres quasiment généralisées et incessantes.

                Il faut donc rétablir une forme d’équité et réduire les inégalités au sein même de l’Europe tout en préservant la plus-value et les valeurs essentielles de celle-ci, au premier rang desquelles la libre circulation des biens, des services et des personnes.

I

La libre circulation n’est pas l’ennemi à combattre, mais bien un élément bénéfique qu’il faut pouvoir gérer et contrôler pour le plus grand bien de tous et au détriment de personne.

                Cependant, il convient que les règles soient les mêmes pour tout le monde, que l’avantage comparatif ricardien soit obtenu en vertu d’une concurrence loyale. Et c’est de cela qu’il s’agit lorsqu’il est question de lutte contre le dumping social.

                La solution globale à ces problèmes ne pourra être obtenue que grâce à la mise en place d’un équilibre subtil et complexe entre les acteurs institutionnels européens.

                Au niveau purement national, la lutte ne peut s’organiser que de deux manières : limiter les désavantages administratifs, techniques et fiscaux de nos entreprises et lutter efficacement contre la fraude. En d’autres termes: lutter à la fois contre les raisons de la fraude et contre la fraude elles-mêmes.

Distorsions

                Les États nationaux n’ont pas vocation à détricoter leurs propres règles et standards, qu’ils soient sociaux, sécuritaires, sanitaires ou environnementaux, pour atteindre le plus petit commun dénominateur existant. C’est d’ailleurs pour cette excellente raison que la répression de la fraude doit être soutenue, notamment sur les chantiers, sur les routes et dans les usines. Il n’est effectivement plus tolérable de voir proliférer de faux indépendants venus de l’Est, logés dans des conditions parfois déplorables et devant vivre en Belgique d’un salaire polonais en moyenne deux fois et demi moins élevé(2) que celui des travailleurs locaux et sans pouvoir profiter des mêmes protections sociales.

                Il est évident que cette situation créée des distorsions de marché difficiles à compenser par la grande majorité des entreprises respectueuses des règles. À cet égard, les 40 mesures prises, dans le cadre du plan pour une concurrence loyale, par le ministre des PME, Willy Borsus, et par le Secrétaire d’État en charge de la Lutte contre la fraude sociale, Bart Tommelein, en collaboration avec l’ensemble des acteurs du secteur de la construction sont d’excellents premiers pas.

                D’autre part, certaines lourdeurs et handicaps peuvent être réduits. En cela, la baisse drastique des charges patronales (de 33% à 25%) promise en juillet par le gouvernement de Charles Michel à la faveur du Tax Shift est un autre pas en avant considérable.

                Cela, néanmoins, ne peut constituer qu’un début. En effet, les initiatives gouvernementales et parlementaires doivent et vont se poursuivre, comme les partis de la majorité et le CDH s’y étaient engagés en votant au mois de juillet dernier la résolution concernant les travailleurs détachés, notamment par la transposition rapide des directives européennes mettant à jour les procédures de contrôle et de collaboration entre les Etats membres.

                La libre circulation n’est donc pas l’ennemi à combattre, mais bien un élément bénéfique qu’il faut pouvoir gérer et contrôler pour le plus grand bien de tous et au détriment de personne. Car tout l’enjeu est là : créer ou conserver une terre d’opportunité et d’équité pour tous.

(1) Commission européenne, 20 ans de Marché Unique (1992-2012): Keypoints, Bruxelles, 2012.

(2) En parité de pouvoir d’achat en 2012. Belgique: 3957 USD; Pologne: 1759 USD (source: OCDE)

S. thoron